L’odyssée d’ANTARES


(English version)

Mi-février 2022, après 16 ans de fonctionnement continu, le premier télescope à neutrinos en mer profonde, ANTARES, a été mis hors tension définitivement. 

L'astronomie des neutrinos a pour objectif d'identifier les sources astrophysiques des rayons cosmiques et les mécanismes d’accélération sous-jacents. La faible section d'interaction des neutrinos et leur neutralité électrique leur permettent de s'échapper de l'intérieur des objets astrophysiques denses et de traverser l'Univers sans entrave ni déviation. Leur faible section efficace d'interaction est aussi un inconvénient, car leur détection nécessite un grand volume cible, de quelques dizaines de Mt à Gt. Ces gigantesques télescopes sont appelés les ''télescopes à neutrinos''.

L'aventure d'ANTARES (Astronomy with a Neutrino Telescope and Abyss environmental RESearch) a commencé à la fin des années 1990. Une proto-collaboration s'est formée et les premières opérations en mer ont été réalisées pour explorer les sites d'installation potentiels, mesurer la transparence de l'eau, le niveau de sédimentation, la bioluminescence et la bio-salissure. En parallèle, des simulations ont été effectuées pour optimiser la disposition des détecteurs. En conséquence, une géométrie caractéristique d’ANTARES –les triplets de modules optiques– a été choisie. En 2001, le câble principal a été posé depuis la plage des Sablettes à La Seyne-sur-Mer jusqu'au site d’immersion, situé à 40 km au large, à une profondeur de 2 475 m. En 2002, la boîte de jonction a été installée ; elle a servi pendant 20 ans sans interruption. Les premiers prototypes de lignes de détection de neutrinos ont été exploités en 2003 et 2005, validant l'électronique de lecture et le système de synchronisation temporelle. Le 14 février 2006 (voir la photo de la ligne 1 le jour de la Saint-Valentin), la première ligne de détection à 25 étages a été déployée. En mai 2008, l'installation d'ANTARES était complète, avec 12 lignes de ce type au total.

Depuis 2008, ANTARES a contribué de manière significative à l’émergence de l’astronomie neutrinos et de l'astrophysique multi-messagers. Le principe de détection du télescope ANTARES est fondé sur l'observation de la lumière Tcherenkov induite par les particules chargées produites lors d'interactions de neutrinos à l'intérieur ou à proximité du volume d'environ 250 m de diamètre et 500 m de hauteur.  Afin d'atténuer le bruit de fond atmosphérique des muons, les événements ascendants sont principalement recherchés dans le détecteur, car seuls les neutrinos peuvent traverser la Terre, interagir à proximité du détecteur et produire des particules "venant d'en bas".

La discrimination des neutrinos cosmiques du fond de particules moins intéressantes repose sur trois méthodes:

1) La recherche d'un excès d'événements dans une petite région du ciel par rapport au bruit de fond attendu.
 
2) La recherche d'un excès de neutrinos au-dessus d'une énergie donnée, en se fondant sur le fait que le signal cosmique attendu contient des neutrinos plus énergétiques que le bruit de fond.
 
3) La recherche de candidats neutrinos, corrélés dans l'espace et/ou dans le temps avec des messagers externes provenant d'autres expériences, comme les interféromètres à ondes gravitationnelles, les expériences spatiales pour les rayons X et gamma, les télescopes radio et optiques au sol, ou d'autres télescopes à neutrinos.


Suite à la découverte d'un flux diffus cosmique par le détecteur IceCube en 2013, ANTARES a contribué de manière significative à l'effort d'identification des sources de neutrinos cosmiques, en contraignant les modèles et en observant avec une grande sensibilité la région centrale de notre Galaxie.

En particulier, la collaboration ANTARES a développé des stratégies spécifiques pour rechercher des neutrinos en corrélation temporelle et/ou directionnelle avec des sources connues (ou potentielles) d'autres messagers cosmiques. La fenêtre de recherche spatio-temporelle restreinte permet une réduction significative du bruit de fond des neutrinos atmosphériques, ce qui améliore la sensibilité aux signaux faibles. La possibilité d'études multi-messagers conjointes avec d'autres sondes (ondes gravitationnelles, rayons cosmiques chargés, rayons X et gamma, télescopes optiques et radio) a soudainement suscité l'intérêt de la communauté scientifique après l'observation de la première onde gravitationnelle (GW150914) issue de la fusion de deux trous noirs. Ces résultats ont motivés l'extension de la prise de données et repousser  le démantèlement du détecteur ANTARES initialement prévu en 2016 afin d'assurer une transition observationnelle avec le télescope à neutrinos méditerranéen de nouvelle génération (le détecteur KM3NeT).
 
En plus des études astrophysiques, les données collectées par le détecteur ANTARES ont été utilisées pour des études de physique des particules, en particulier pour l'observation des oscillations de neutrinos atmosphériques, pour contraindre les interactions de neutrinos non standard, et pour rechercher des neutrinos provenant de l'annihilation de candidats de matière noire. Avec l'inclusion d'informations provenant de certains dispositifs dédiés, les données collectées par ANTARES ont également été utilisées pour les sciences marines et les géosciences : écoute des mammifères, observation des organismes bioluminescents, étude du changement global et de ses conséquences sur la circulation marine et la biodiversité.

Fin de 2021, la construction des deux détecteurs KM3NeT était suffisamment avancée pour dépasser la sensibilité d'ANTARES sur toute sa gamme d'énergie. Il a donc été décidé d'arrêter et de démanteler le détecteur en 2022. La campagne EMSO-Ligure du navire IFREMER "Pourquoi Pas ?" a offert la première occasion de débrancher les câbles entre la boîte de jonction et les ancres de ligne - une condition préalable nécessaire pour procéder à la récupération effective du détecteur. Après l'installation réussie de divers équipements scientifiques de haute mer sur le site de KM3NeT, une plongée avec le sous-marin Nautile sur le site ANTARES a été effectuée. Au cours de cette plongée, la grande majorité des câbles entre la boîte de jonction et les ancres de ligne ont été débranchés avec succès. Le 14 février 2022 a ainsi marqué la fin de la prise de données ANTARES, 16 ans exactement après le déploiement de la première ligne de détection. Les étapes suivantes du démantèlement sont déjà prévues dans un avenir proche.

Au cours de sa vie scientifique, la collaboration ANTARES a publié plus de 90 articles dans des revues de référence (y compris l'article co-signé par environ 3500 personnes issues de 70 collaborations différentes sur l'étude de la fusion de deux étoiles à neutrons le 17 août 2017) ; environ 40 présentations par an ont été données lors de conférences internationales depuis 2008 ; et environ 100 doctorants (principalement de France, d'Italie, des Pays-Bas, d'Allemagne et d'Espagne, mais aussi de pays voisins comme le Maroc) ont soutenu leur thèse liée au télescope ANTARES.
La collaboration prévoit maintenant de produire des études finales basées sur l'ensemble de l'échantillon de données et de publier un ensemble de données héritées pour une large communauté.

A l’APC, l’équipe ANTARES-KM3NeT s’est montée dès la création du laboratoire grâce à l’investissement de Luciano Moscoso dans la fédération de recherche embryonnaire au laboratoire. L’équipe a été très active dans l’étalonnage du détecteur et le monitorage de la qualité des données, pionnière dans les recherches croisées de neutrinos de haute énergie et d’ondes gravitationnelles. Elle joue un rôle clef pour la production des dernières analyses.

Illustrations:
Immersion de la première ligne de détection le 14 février 2006 (St Valentin). Crédits Collaboration ANTARES :
 


 
 

Illustrations suivantes:
Déconnexion finale avec Nautile de la première ligne de détection en février 2022, avec son cœur rouge distinctif. Première étape de l'opération de démantèlement. Crédits Collaboration ANTARES :
 
 

 
  • ANTARES
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  • Février 2022

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