L'astronome Steve
Torchinsky
quittait l'Agence spatiale canadienne (ASC) en août dernier pour se joindre à
l'équipe de l'observatoire d'Arecibo, à Porto Rico.
Apogée a réalisé une entrevue avec M. Torchinsky peu
après son départ.
Qu’est-ce qui vous a amené à étudier l’astronomie?
Dès
mon plus jeune âge, je m’interrogeais à propos de tout ce qui
m’entourait. Je posais toujours des millions de questions. Mon choix
pour l’astronomie remonte à l’époque ou j’avais 10 ou 11 ans. Un jour,
Mme Dempster, la bibliothécaire de l’école, m’a tendu un livre en me
disant simplement : « Lis ça, je crois que tu vas aimer ». C’était
un livre de science fiction, et c'est depuis ce temps que je suis
fasciné par l’espace. Quand je suis entré au secondaire, je savais déjà
que je voulais être un astrophysicien. D’ailleurs, c’est indiqué dans
l’annuaire de l’école secondaire!
Quel a été votre cheminement jusqu’à maintenant?
Ma
formation en astrophysique n’a pas suivi le cours normal. La plupart
des chercheurs en astronomie et en astrophysique obtiennent leur
diplôme de premier cycle en physique ou en mathématiques et poursuivent
leurs études jusqu’à l’obtention d’une maîtrise et d’un doctorat en
physique et en astronomie. Quand j’ai fait ma demande à l’université
pour mon diplôme de premier cycle, j’ai visité le Département de
physique et de génie mécanique à l’Université McGill. Autant le
professeur de génie débordait d’enthousiasme, autant celui qui
enseignait la physique était ennuyeux. J’ai donc décidé d’étudier en
génie mécanique. Mon professeur de physique au secondaire m’avait dit
que la matière étudiée pour obtenir mon diplôme de premier cycle
importait peu et que je pourrais toujours étudier l’astrophysique au
niveau du doctorat. Cela s’est essentiellement avéré exact, mais le
diplôme en génie a eu une influence considérable sur le déroulement de
ma carrière par la suite!
Après
avoir obtenu mon diplôme en génie mécanique de l’Université McGill, je
me suis inscrit à l’Université d’Édimbourg en Écosse où j’ai travaillé
quatre ans pour l’obtention de mon doctorat en astronomie. Grâce à ma
formation en génie, je me sentais tout à fait à l’aise pour travailler
avec des instruments en astronomie. Mon projet de doctorat comprenait
la conception d'un élément d’une caméra à onde décimillimétrique qui
est encore en exploitation dans le télescope James Clerk Maxwell à
Hawaii.
L’autre
partie de mon doctorat était consacrée à la modélisation et à
l’observation de l’effet lenticulaire gravitationnel par amas de
galaxies. La gravité peut courber la lumière et la masse imposante à
l’intérieur d’un groupe de galaxies a un effet significatif sur la
lumière qui la traverse par sa partie arrière. Cet effet peut être
utilisé pour amplifier la lumière provenant de sources extrêmement
lointaines. C'est pourquoi nous pouvons dire que nous utilisons le plus
grand télescope de l'Univers quand nous faisons cela!
J’ai
complété mon doctorat en 1991 et j’ai occupé plusieurs postes depuis.
J’ai été associé en recherche à l’Institut Herzberg d'astrophysique qui
fait partie du Conseil national de recherches du Canada. En 1995, j’ai
commencé à travailler en astronomie spatiale quand l’Agence spatiale
canadienne m’a envoyé à la Chalmers University of Technology, en Suède.
J’ai vécu pendant près de cinq ans en Suède où j’ai travaillé sur le
radiomètre destiné au satellite Odin. Ce dernier a été lancé en 2001 et
continue de fonctionner à merveille. Je suis rentré au Canada en 1999,
après la livraison du radiomètre. Pendant trois ans, j’ai travaillé
avec le chercheur principal canadien pour l’aspect astronomie du
satellite Odin, à l’Université de Calgary. Pendant mon séjour à
Calgary, j’ai été professeur agrégé adjoint au Département de physique.
J’ai quitté Calgary il y a un peu plus d’un an pour me joindre à
l'équipe de l’ASC à Saint-Hubert à titre de scientifique de programme
en astronomie spatiale. J’ai passé un an au siège social de l'ASC
jusqu’à ce que l’occasion se présente de me joindre au personnel
enseignant de l’Université Cornell et de travailler à l’Observatoire
d’Arecibo.
Comment avez-vous obtenu ce poste?
Ça
faisait longtemps que je songeais à travailler à Arecibo. C’est là
qu’on exploite le plus imposant télescope au monde, lequel a apporté
des contributions considérables à l’astronomie. Il est à l’origine de
travaux de recherche qui ont été couronnés par l’obtention du prix
Nobel en physique en 1993.
L’ancien
directeur de l’Observatoire d’Arecibo est un scientifique qui a
travaillé notamment dans le domaine de la conception quasi-optique. Il
connaissait mon travail, surtout ma contribution au projet Odin. Quand
j’ai eu vent que l’Observatoire cherchait quelqu’un pour piloter le
projet ALFA, j’ai décidé de poser ma candidature. Peu de temps après,
j’ai reçu une offre de l’Université Cornell pour me joindre à l’équipe
d’Arecibo!
En quoi consistera votre travail à Arecibo?
Nous
construisons sur le site d’Arecibo un nouvel instrument qui sera une
caméra fonctionnant dans les longueurs d’ondes radiométriques. On
l’appelle ALFA pour Arecibo L-Band Feed Array.
Aujourd’hui encore, Arecibo, comme presque tous les radiotélescopes,
fonctionne à partir de récepteurs à pixel unique. Cela signifie que le
télescope géant focalise sur un seul point dans le ciel. Pour
constituer une carte, nous devons pointer le télescope à différents
endroits de la voûte céleste, et les rassembler par la suite, un par
un, pour constituer la carte. Quand ALFA sera en opération, nous
pourrons recueillir en même temps des données à partir de sept points
dans le ciel. Nous serons donc en mesure de travailler sept fois plus
vite. Mais chaque pixel nous donne plus de renseignements que la
quantité radio en un point donné; il nous donne toute l’information
contenue dans un spectre de signal radio. ALFA sera donc capable de
produire des quantités énormes de données!
Je
suis présentement responsable de l’équipe chargée de construire
l’instrument. Nous sommes environ une dizaine de personnes à travailler
sur ALFA à Arecibo, et il y en a d’autres à l’Université Cornell. Nous
avons aussi des collaborateurs au National Telescope Facility en
Australie. ALFA sera utilisé par des astronomes du monde entier, dont
un bon nombre de Canadiens qui surveillent de près l’évolution d’ALFA.
Parmi ces derniers, on compte des scientifiques des universités McGill,
Laval et de Calgary.
Y-a-t-il
des sujets d’intérêt particulier que vous aimeriez personnellement
étudier au moyen de ce télescope extrêmement puissant?
Il
y a eu dans l’Univers un moment où il n’y avait pas d’étoiles. Tout
était noir et froid avant la naissance de la première d’entre elles. On
appelle cette période « l’âge sombre cosmique ». Les seules
matières alors présentent dans l’univers étaient de l’hydrogène et des
traces de quelques éléments un peu plus lourds comme le deutérium et le
lithium. Comme il faisait très froid, l’hydrogène émettait peu de
rayonnements, mais puisqu’il y en avait à profusion, il est peut-être
encore possible d’en détecter des traces qui remontent à cette époque.
Il s’agit d'une expérience très difficile, et elle pourrait même se
révéler au-delà des capacités d’Arecibo. Mais ce serait très
intéressant de détecter ce signal antérieur à la naissance des étoiles
dans l’Univers.
Quels conseils prodigueriez-vous aux jeunes astronomes amateurs qui désirent faire carrière en astronomie?
Je
donne toujours le même conseil aux jeunes gens qui doivent prendre des
décisions concernant leur future carrière. Vous devriez vous lancer
dans ce qui vous passionne le plus. Ne vous préoccupez pas du futur
marché de l’emploi. Si ce que vous faites vous intéresse et si le sujet
vous enthousiasme, vous trouverez certainement une place dans un
institut de recherche quelque part. Mais vous devez être prêt à
voyager! Aux futurs astrophysiciens et astronomes, je leur recommande
d’obtenir un diplôme en physique et de suivre des cours en astronomie.
Il serait également intéressant qu’ils changent d’université pour faire
leur doctorat. C’est très important de puiser ses connaissances chez
plusieurs personnes et la meilleure façon de le faire consiste à
fréquenter différentes universités.
Croyez-vous revenir un jour au Canada pour poursuivre votre carrière?
Chaque
étape de ma carrière a été une surprise pour moi. J’ai vécu dans des
endroits où je n’aurais pas pensé vivre, même l’année précédente. Pour
l’instant, J’ai un engagement de trois ans à Arecibo, mais après cela,
je pourrais fort bien revenir au Canada. Tout dépendra des occasions
qui se présenteront dans trois ans, et cela, personne ne peut le
prédire!
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